mardi 28 avril 2020

La maison Acacias



Je viens d’évoquer le magasin des parents. Il fait partie intégrante de la maison de mon enfance, sise au numéro 84, avenue des Acacias à Kamina. Une partie de ce corps de logis est publique (le magasin), une autre partie est semi-privée (la barza[1], le salon, la salle à manger) et une troisième partie est privée (salle de bains, salle de douche et chambres). Les activités de mes parents sont donc très ouvertes à la population kaminienne et régionale.

Il arrive que des clients passent du magasin à la maison pour boire un verre ou manger un morceau à la fortune du pot. C’est le cas des fermiers, des agronomes et des vétérinaires des sociétés d’élevage, de passage pour faire leurs courses.

Papy joue parfois au Monopoly avec les curés bien qu’il soit taxé de mécréant par l’évêque. Les jeux de cartes sont également fortement appréciés. Bref, chez nous, c’est le zoete inval[2], au grand dam de Mamy qui en a parfois assez, on peut la comprendre.

Nous jouissons enfin d’une salle de bains mieux équipée, avec baignoire, éviers et eau chaude courante. Nous ne possédons pas encore de chauffe-eau électrique. Il n’a été installé qu’au début des années soixante. L’eau chaude est fournie par un énorme fût métallique[3] installé à l’extérieur, posé en hauteur contre le mur de la salle de bains, sur une surface maçonnée en surplomb. En dessous, un feu de bois chauffe la touque remplie d’eau, avant de passer aux ablutions. Nous y glissons parfois des épis de maïs dans leur gaine végétale, en guise de souper. Le soir, bien propres et vêtues de nos pyjamas, ma grande sœur et moi arrachons à belles dents les grains chauds et juteux en croquant les épis.


[1] Au Congo, terme désignant une terrasse.
[2] Expression flamande pour dire que l’on rentrait chez nous comme dans un moulin, sans sens péjoratif.
[3] Au Congo, on appelle ce genre de fût métallique une touque.

La barza et la grille d'entrée principale

 

samedi 25 avril 2020

Chats-chats-chats


Toute petite fille, j’aimais déjà les chats. Des clichés me rappellent mon fidèle chat angora blanc, Victor. Un souvenir lointain s’impose à moi. C’est lors d’une partie de course-poursuite avec ma grande sœur.

Vite, vite, je cours vite ! Je dois avoir quatre ou cinq ans et je suis la souris. Vite, vite, je cours vite ! Il ne faut pas que ma sœur la chatte m’attrape. Je cours à perdre haleine du fond du jardin vers la maison. Le soleil embrase la barre de l’horizon.

Ma course s’accélère. Je cravache mes jambes et je m’engouffre dans le salon. J’atteins le long couloir plongé  dans une quasi-obscurité. Je fonce. Soudain, je perçois un miaulement qui déchire le mur de mes tympans. Mon pied a heurté une masse indéfinie. J’appuie sur l’interrupteur pour éclairer le couloir et aperçois une flaque rouge s’évasant rapidement par vagues. Au milieu de cette tache mobile, le second de mes trois chatons, pris d’ultimes convulsions agonise puis … se détend. Ma grande sœur manque de nous tomber dessus. Elle me regarde, consternée. Je ramasse le chaton et l’approche tout doucement de ma joue. Son corps est encore tout chaud. Son pelage gris souris tout duveteux sent encore le lait de la dernière tétée.

C’est malin, hein, il est mort maintenant, crie ma grande sœur. Tu aurais pu faire attention ! Mort, ça veut dire … Un chagrin intense me donne la nausée, m’essore la tête de toutes les larmes possibles, m’abat d’une douleur lancinante au ventre. Je ne jouerai plus jamais à la course-poursuite. J’aurais déjà dû prendre cette décision l’autre jour, quand le chien a joué au même jeu avec le premier chaton et lui a croqué l’arrière-train. A la suite de ces deux enterrements, des questions surgissent. Est-ce que moi aussi je peux mourir et partir pour toujours ? Est-ce que quelqu’un peut m’écraser, me tuer ?

Ma grande sœur joue peu avec moi. Elle est mon aînée de sept années et s’amuse avec ses copains et copines. Alors, je jette mon dévolu sur le chat rescapé, Victor. Nous jouons à la poupée dans ma chambre ou à cache-cache dans le magasin où il passe le plus clair de son temps à dormir.

Une scène s’impose encore à mon esprit. Papy ouvre les portes de sa boutique. L’après-midi s’annonce chaud. Il sort un dossier de factures sous le comptoir quand arrive Madame Martins, une cliente assidue. Chaque fois, elle s’approche du comptoir et lorgne le chat, vautré sur un présentoir publicitaire pour hameçons. Elle le flatte de sa main grassouillette tout en lui susurrant des mots d’amour : Adoravável amor, como está ? Vós miado, vós ronrom. Tesouro meu … um beijo ![1]  Elle le cajole, le minou aux yeux verts, polochon d’épais flocons de poils blancs. Elle ne résiste plus, craque et fourre son nez contre le ventre chaud de mon minou. Victor s’étire de jouissance sous les câlins répétés. Il rétracte ses griffes puis se roule en boule, la truffe rose dissimulée sous sa queue touffue.

Elle voudrait tellement avoir un chaton mais ne comprend pas que Victor est un mâle. De guerre lasse, Papy le lui explique en long et en large avec force gestes. Finalement, elle rit lorsque Papy l’invite à s’adresser à notre voisin, le boucher, qui possède Blanchette, celle qui porte les petits de Victor après quelques galipettes.


[1] Comment vas-tu, amour adorable ? Tes miaous, tes ronrons. Mon trésor … un bisou !

white cat lying on white textile
Photo Unsplash free

mercredi 22 avril 2020

PERPLEXE ...

La maison de repos dans laquelle je collabore en bénévole m'a contactée hier pour me proposer de revenir mais pour une autre tâche, temporaire celle-là.  Ce serait à partir du 3 mai ou une semaine plus tard, jusqu'à fin juin.

Vu que le déconfinement progressif a été décrété par le Conseil d'Etat pour les maisons de repos, les familles seraient accueillies sur la terrasse, avec toutes les précautions d'aseptie respectées, afin de retrouver qui sa grand-mère, qui son conjoint, qui sa soeur ou son beau-frère, son père, etc.

La demande serait que je consacre une heure ou deux, le samedi ou le dimanche après-midi, à soulager le personnel soignant en accueillant les familles et en surveillant bien qu'elles respectent les consignes imposées.

J'en ai parlé à la maison : le mari et la fille ont trouvé que oui, je pourrais y aller ... 
Mais je suis franchement perplexe et ne sais pas encore quelle réponse je vais fournir à la directrice.

Y aller vers le 15 mai, juste le faire une fois et décider ensuite ?  Il me semble que cela serait la meilleure option.  On verra.


lundi 20 avril 2020

Nom et prénoms



Née un 25 novembre, je suis sous la protection de Sainte-Catherine, le jour où tout bois prend racine. Cette sainte m’aurait-elle prodigué une main verte, l’amour de la nature et des arbres en particulier ? Un bref coup d’œil sur ma date de naissance, le 25.11.52, montre qu’on peut la lire dans les deux sens, elle est parfaitement symétrique. Serait-ce un présage ?

Philomène est mon prénom. Ma marraine, amie de mes parents, l’a choisi. Je l’adore. Il signifierait « qui aime la lune » et « aimée ». Oui, j’aime la lune, le crépuscule, l’aube, l’aurore et les chats. J’aime me faufiler dehors la nuit ou, dès potron-minet, me coucher dans l’herbe, tapie à l’abri des regards. Je me sens aimée aussi. Renée est un second prénom. C’est celui de mon parrain qui est l’associé et ami de mes parents. Je viens de naître. Alors, re-née ? Serait-ce un autre présage ?

Pas de grands-parents ravis autour de mon berceau, personne ne se dispute une quelconque ressemblance. Née de parents immigrés, je ne vis pas au contact de mes aïeuls en métropole. De toute façon, mon ascendance est incontestable. Je suis une fille de Papy, une Verhelst. La loterie génétique me réserve de vastes oreilles façon éléphant et l’implantation d’une canine à la mode de Dracula, Prince en Valachie. Au soleil, ai-je la peau rose du flamant ou de la Flamande ? Les iris de mes yeux sont bleus et mes cheveux sont si blancs que l’on me croit chauve.

Les Africains disent que les enfants ne naissent pas au moment où ils quittent le ventre de leur mère, mais du lieu et de l’instant de leur conception. Dans ce cas-ci, Kamina (ou en brousse ?) fin février 1952 en Afrique Centrale.




samedi 18 avril 2020

Pourquoi j'ai créé ce blog ?






Pas à pas, à la recherche d’un parcours, des mots avancent l’un après l’autre. Mes souliers dévalent les sentiers.  Ma plume se fraye un chemin sur la page blanche. Elle hésite souvent, soupire, repère et repart en éclaireur vers de nouvelles pistes.

Je transpire. Les mots me balancent entre souffrance et jubilation. Endurance, espérance, envie de me connaître, de me re-connaître. Qui suis-je ? Qui est ce « je » qui m’anime ?  Quel est ce « je » qui  m’invite à l’intériorité. Les mots deviennent miens. Inspiration, expiration, les phrases respirent et me libèrent.

Le récit a dû exister. Est-ce bien mon vécu ? Mes enfants imaginent mon passé sur une autre planète. Un beau jour, j’ai atterri en Belgique à bord d’un aéronef. Je n’étais pas d’ici, incontestablement. Quoique ? Pas si simple. Pas si sûr. Est-ce une autofiction ? Je ne le sais avec exactitude.

La mémoire me restitue ce récit des décennies après l’indépendance de la République Démocratique du Congo (RDC). Il ne reproduit pas nécessairement la réalité mais ce que j’en ai perçu et ce que j’en ai retenu.


« La Vie est une succession de naissances
et de re-naissances,
faites de rencontres et de séparations.
Viendra se greffer la ferveur d’exister
Avec le plein de soi-même. »
Jacques Salomé