Il arrive aussi que nous passions le week-end à camper le long de la
rivière Luembe. Levés dès la pointe du jour, nous roulons en bravant les nids
de poules, les ornières et les énormes flaques laissées par la pluie. Est-ce
pour cette raison que l’Office des Routes a été rebaptisée l’Office des
Trous ? La camionnette, bien chargée, est garée non loin du pont qui
enjambe notre rivière préférée. Ici, pas de panique, la traversée du pont
s’effectue sans danger. Les matériaux sont solides. Le parapet et les piles
existent encore, ce qui ne sera plus le cas partout après l’indépendance du
Congo belge. Les ponts arboreront des planches semi-pourries, accrochées vaille
que vaille au-dessus des cours d’eau sans aucun garde-fou. Je tremble dès que
j’en repère un de loin. Je sors toujours du véhicule pour passer de l’autre
côté du pont … à pied !
Les enfants descendent de la benne arrière de la camionnette. Les
parents montent un campement tandis que nous partons à la pêche pour ramener
des poissons ponctués de points rouges et des petits silures, ce genre de
poisson-chat qui émet des sons comme s’il aboyait. Puis, nous nageons, nous
explorons. Nous jouons à la chasse aux serpents, aux chacals, aux phacochères
et aux crocodiles. Aïe les sangsues ! Elles s’agrippent à nos mollets.
Difficile de s’en faire quitte. Aïe les pauvres pieds ouverts, blessés par les
coquilles cassées des moules d’eau douce ! Un bon explorateur endure la
souffrance. Du stoïcisme, que diable ! La fraîcheur accueillante des
chutes d’eau et des rapides nous console. Nous nous y installons pour un bon
massage. Nous chantons, nous hurlons pour effrayer les singes. Nous faisons
surtout le singe pour nous rassurer. Je n’ai jamais vu de singe en liberté
là-bas.
Le soir, les grillons stridulent à forer les tympans. Les parents
allument les lampes Coleman à
manchon. Des papillons de nuit magnifiques sont attirés par leurs lueurs qui
ponctuent la nuit noire, en pleine lunaison. Nous allons nous coucher après le
souper. Malgré mes paupières lourdes de sommeil, j’écoute les bruits de la
nuit. Certains me sont inconnus et je transis de trouille. e serai dévorée toute crue, au secours !
Il arrive parfois que les villageois des environs fassent la fête au
son des tam-tams, des likembés[1]
et des balafons[2]. Ils
chantent et dansent, leurs pieds ornés de clochettes et grelots. Ils martèlent
le sol en rythme. Je suis au paradis.
Mais, ces concerts nocturnes, était-ce à la Luembe ou ailleurs ? Je
ne peux l’affirmer avec certitude. Le souvenir des phrases sonores me réjouit
encore les oreilles et le cœur.
Dès l’aube, je profite de la chorale des oiseaux et des premières
lueurs de l’aurore pour découvrir la brousse éclaboussée de gouttes de rosée.
Déjà les rayons de soleil me caressent doucement les bras, mes poils blonds se
dressent de plaisir. La terre exhale une odeur forte, sauvage. J’adore faire un
brin de toilette dans une cascade, sauter pieds nus de rochers en pierres
plates, revêtue d’un short et t-shirt ou d’un simple maillot quand le soleil ne
tape pas encore trop fort.
Des fossés larges et profonds délimitent notre avenue des Accacias. C’est là que je
planque mes chaussures avant d’aller jouer avec les voisins. Un souci récurrent
car j’oublie l’endroit où les souliers m’attendent et, le soir tombé, Mamy me
gronde. Il faut les retrouver. Parfois, l’histoire des chaussures dans le fossé
tourne au cauchemar pour la petite fille que je suis. Mais peut-être que j’exagère. Il y a si longtemps.
[1] Instrument de musique artisanal, sorte de xylophone communément appelé
« piano à pouces », constitué d’un clavier en métal ou en bambou et
d’une caisse de résonance faite d’une calebasse, d’une planche ou d’une boîte
de conserve.
[2] Instrument de musique à percussion, formé
de lames de bois dur juxtaposées, montées sur des calebasses creuses faisant
office de caisse de résonance, et que l'on frappe à l'aide de maillets.
Que de jolis souvenirs, Filo Filo ! (sourire)
RépondreSupprimerBelle soirée à toi.
Pas mal de souvenirs, en effet. Ils ont entretenu en moi une nostalgie de l'Afrique indicible et m'ont marquée. Tu le verras par la suite ! Passe un tout bon week-end et à demain !
RépondreSupprimerQuel intéressant récit !
RépondreSupprimerDes souvenirs d'une époque qui a marqué ta vie.
Beaucoup de gens qui ont séjourné enfant à l'étranger ont souvent la nostalgie du pays et de l'époque.
Et oui, j'ai vécu au Congo (RDC) de 0 à 23 ans et suis donc de culture métissée belgo-bantoue. Ma nostalgie a disparu il y a quelques années, dès que j'ai publié mon récit de vie, en 2014, et que je reprends ici en version blog. MERCI de ton intérêt, cela me fait vraiment plaisir.
SupprimerMes parents habitaient près du fleuve Congo. Ma mère racontait que la nuit, les hippopotames sortaient du fleuve pour venir manger les salades dans leur jardin.
RépondreSupprimerCoucou, Madame Chapeau ! Effectivement, ces bêtes ont des itinéraires fixes, sont voraces et gare aux salades ! Ils habitaient où, vos parents ?
RépondreSupprimerà Kongolo
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