mardi 8 septembre 2020

Indépendance cha-cha et Bulaya (suite 3)

 

Nous fréquentons l’école communale de Forest, proche de l’arrêt du bus et à proximité de la brasserie Willemans-Ceupens. L’institutrice s’investit au maximum pour que ses petites Africaines s’adaptent à leur nouveau mode de vie. Une autre fillette de mon âge est arrivée aussi pour la première fois en Belgique. Elle ne se tarit pas de larmes, une réédition des chutes de la Luembe, version cœur.

Mes compagnes de classe me posent des questions aussi inattendues que saugrenues, du genre : Tu habites dans une case chez les Bamboulas ? Tu n’as pas peur des lions ? T’as déjà vu un éléphant pour du vrai ? Ton père est directeur ? Je me demande sur quelle planète j’ai atterri. Moi, je suis Congolaise puisque je viens du Congo, c’est logique, non ?

Ces Belgicaines[1] ne savent rien de mon pays. Je dois leur expliquer qu’au Congo, c’est plein de fleurs, d’arbres, d’oiseaux, de gens qui sont joyeux, qui chantent, qui dansent dans l’espace et au soleil. Le ciel y est toujours bleu, piqueté de pompons blancs. Ici, en Belgique, il fait froid et il pleut tout le temps. Les maisons pleurent, blotties les unes contre les autres, pour se tenir au chaud.  Leurs yeux se ferment sur leurs paupières-volets, le soir.  Les rues sont arpentées par des vieilles personnes affublées de petits chiens en laisse, sous un ciel gris, comme si un couvercle les confinait dans une marmite. A mon grand étonnement, mes compagnes de classe ne s’intéressent pas à mon discours. Tant pis. Elles m’acceptent dans leurs jeux et j’oublie tout.

À l’école communale de Forest, je suis inscrite au catéchisme tandis que mon amie Viviane suit le cours de morale. Je ne saisis pas la différence entre ces deux matières mais je la découvre par le biais de mes grands-parents.

Un dimanche, je suis invitée à passer la journée chez Viviane et ses parents. Le soir, ils me déposent chez Bobonne et j’affiche une mine radieuse.

-          Qu’est-ce que tu as fait, Fifille ?

-          À midi, on a dîné de boestrings[2] et de pellepataaten[3] à la sauce au beurre. Miam, que c’était bon.

-          Ah oui.  Et après ?

-          Vers deux heures, on est tous allés à la Maison du Peuple.  Là, on a passé un film de Laurel et Hardy et puis on a reçu un goûter et on a joué aux jeux de société.

-          Où ça, Fifille ? À la Maison du Peuple ?

-          Ben, oui. Ce n’est pas bien, Bobonne ?

-          Jésus, Marie, Joseph ! Tu es allée jouer chez les Rouges ?

-          … ???

-          C’est rien, Fifille, ce n’est pas grave. Bobonne n’est pas fâchée. Mais, n’y va plus, hein, on ne sait jamais.

Je ne comprends pas pourquoi je ne peux plus y aller.  Personne ne veut m’expliquer. Alors, je monte me coucher et rêve …

Sous mon lit, deux yeux jaunes

Ce sont ceux du boa

Sous mon lit, deux yeux bougent

Ce sont ceux du mamba

Oh, serpents, ne me tuez pas

Oh, serpents, sortez-moi de là

Deux points positifs à signaler : il n’y a pas de serpents ni de moustiques chez Bobonne. Et, je réalise que j’ai une grand-mère, moi aussi, comme ma copine Edwige, fille d’un fermier de la région de Kaniama. Elle a le privilège de vivre avec sa grand-mère sous le même toit, ce qui est rarissime pour une famille d’Européens au Congo.  C’est formidable que moi aussi je puisse partager la vie de mes grands-parents.  Dans les milieux urbanisés du Congo, on ne rencontre quasi pas de vieux. Les personnes âgées blanches retournent à Bulaya et les noires regagnent leur village d’origine pour y terminer leur vie.

Mamy apparaît quelques mois après notre arrivée en Belgique pour me ramener à Kamina, sans ma grande sœur. Je ne sais pas pourquoi. Il n’y a plus d’école pour elle au Congo ?



[1] Belgicain, Belgicaine, terme que les Belges expatriés attribuent aux Belges résidant essentiellement en Belgique et ne connaissant rien de l’Afrique.

[2] Harengs saures.

[3] Pommes de terre en robe des champs.

 

3 commentaires:

  1. Bobonne est donc ta grand-mère, c'est bien cela ? (sourire)

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  2. OUIiii, c'est ma grand-mère ! On dit pas ça en France ?

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    1. Non Filo Filo, on nous appelle "mamie".
      Par contre, mes petits-enfants bretons m'appellent : "Mimine" (sourire). C'est le plus grand, Timothé, qui a commencé à m'appeler ainsi. Il avait deux ans, et il m'a entendu appeler une minette qui se trouvait dehors : "Mimine, mimine". Et depuis il m'appelle ainsi (sourire).

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