samedi 21 mars 2020

Déjà dans l'enfance ...

Ce midi, pas de chance.  Encore un plat que je déteste par-dessus tout : du boudin noir, du choux rouge et des frites !  Quelle horreur !
 
-          Termine ton assiette.
-         
-          Termine ton assiette !
-         
-          Termine ton assiette !!!  Et si tu ne veux pas, tu iras dans le coin.
-         
Quelques minutes plus tard, « Bonjour le coin ».  Encore une fois.  Tout cela pour du boudin.  Mais je ne peux tout de même pas TOUT manger.  Je n’aime ni le boudin, qu’il soit noir ou blanc, ni les choux, peu importe lesquels : les blancs, les verts, les rouges, les fleurs, les de Bruxelles, et tous les autres que je ne connais pas et que j’espère ne jamais connaître.

Je ne suis qu’une petite fille, moi.  Enfin, pas tout à fait.  J’ai six ans et j’ai déjà fait ma première communion !  Et me voilà de nouveau face aux murs.  Le silence ou à peu près.  Un mur me raconte des histoires que je ne connais pas encore.

Les minutes s’égrènent.  Un petit cancrelat aligne ses six pattes en rythme tout près de moi.  Ses longues antennes palpent les murs, le sol.  Il s’arrête un moment, me regarde, puis reprend son exploration du coin.  Sa maman l’aurait puni, lui aussi ?  Pauvre chéri.  Personne ne vient me chercher.  L’heure sonne.  Personne ne vient.  Une mouchette fait son apparition.  Elle s’est posée sur la manche gauche de ma blouse pour achever un brin de toilette.  Elle me scrute parfois de ses yeux globuleux, si doux, si tendres.  « Allez, courage, je suis avec toi ! ».  Je m’ennuie franchement, maintenant.  Le soleil a disparu.  Il fait sombre et les grillons se préparent à leur chant du soir.  C’est inquiétant …

Ouf, Félix, le cuisinier, vient me délivrer !  Maman m’a oubliée dans le coin.  Encore et encore …  Mais, elle n’en peut rien, Maman.  Elle ne le fait pas exprès.  Elle m’oublie, tout simplement.

Au fil de mes punitions purgées dans le coin, je me familiarise avec les murs et leurs hôtes.  Les lézards de passage, eux aussi, m’inventent des distractions amusantes.  Je leur parle tout bas et ils me répondent.  Des murs, je connais leurs fissures et leurs fragilités par cœur.  Je reconnais chaque trace de moustique écrasé.  Mes genoux proches des plinthes fredonnent parfois des complaintes.  Ils se protègent de leur mieux, blottis l’un contre l’autre.  Le coin entend tout et comprend les chagrins.  Mais parfois, il m’émerveille et me rend ma joie.  Je ne sais pas pourquoi.

À présent, je suis une jeune femme d’une quarantaine d’années.  Une amie me confie son parcours sur le chemin de la méditation.  Elle me prête des bouquins de bouddhisme zen soto.  Ils décrivent ce qu’est la méditation « zazen », pratiquée assise sur un coussin, jambes croisées, dos droit, yeux mi-clos et regard posé au sol face à … un mur !

Contrairement à pas mal d’Occidentaux, je me sens d’emblée très à l’aise dans cette posture.  « Zazen » me convient parfaitement.  C’est curieux tout de même.  Mes compagnons de méditation se plaignent régulièrement d’inconfort, voire de douleurs cuisantes ressenties par leur corps.  Certains sombrent dans une profonde somnolence tandis que d’autres s’emmerdent ferme et se demandent ce que diable ils font là.  Moi, je suis comme un poisson dans l’eau.  Je trouve parfois le temps long mais c’est supportable.  D’où me vient cette faculté ?

Alors que je l’avais oublié depuis belle lurette, je me souviens de mon cher coin, du fameux coin de Kamina, le village qui m’a vu grandir au Congo.  Une bouffée de tendresse, pleine de gratitude, s’envole vers Maman.  Oh, merci Maman, de m’avoir rapprochée si près des murs, de m’avoir expédiée si souvent dans le coin.  Grâce à toi, j’ai été mise « sur la voie » dès mon plus jeune âge, en chemin vers la vie, telle qu’elle est, si déroutante et si belle !  Me voilà équipée pour embrasser la Vie, sous toutes ses facettes.  Quel cadeau merveilleux !



 

6 commentaires:

  1. c'est super bien raconté tout ça...bises à toi!

    RépondreSupprimer
  2. Bises à toi aussi et à ce soir pour ton nouveau billet !

    RépondreSupprimer
  3. J'ai beaucoup aimé lire ce récit, Filo Filo.
    Tu pratiques donc toi aussi la méditation ? :-)
    Belle fin de journée.

    RépondreSupprimer
  4. Oui, depuis 2007 (zazen - bouddhisme zen soto) et depuis 2015, je suis la formation continue de formatrice en pratique de la méditation laïque à l'Ecole occidentale de Méditation (Fabrice Midal - Paris) et je guide la pratique en bébévolat dans une maison de repos. Mais l'activité est suspendue jusqu'à ... ?
    Et Toi ? Tu médites aussi alors ?
    Belle et douce journée, Chère Françoise !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai beaucoup médité, je médite encore, moins régulièrement. J'ai fait du yoga, du tai chi chuan, je fais du qi gong et j'ai mes degrés reiki. Voilà, tu sauras tout. :-)
      Bel après-midi, Filo Filo.

      Supprimer
  5. Ah, beau parcours d'activités, très profond ! Le tai chi chuan est prévu normalement pour septembre, dans le club sportif des seniors du village. Douce soirée, Françoise.

    RépondreSupprimer